Raymonde tire les rois
Rédigé par Tara Taggle Aucun commentaireLoge du rez-de-chaussée, jeudi 6 janvier 2022, 14h32.
Raymonde avait passé un sale Noël. Même les grivoiseries avinées de Saint-Ex n’avaient pas réussi à dérider son front soucieux, même le sky hors d’âge -cadeau d’Andy McAdam, le boss du Mètre Écosse, même le foie gras succulent -préparé selon la recette secrète du Big-Mac- n’étaient pas parvenus à faire passer le morceau. Et un petit jésus lyonnais bien ficelé avait beau avoir remplacé le traditionnel santon représentant le divin mouflet dans la crèche, le cœur n’y était pas. La joie avait déserté et les yeux étaient caves, comme si toute flamme avait été soufflée de l’intérieur.
- Mais bon, même pas mal ! Pas d’ quoi s’ faire des trous où on n’en avait pas, hein ? Il restait quand même quelques belles occases de se rattraper avant d’afficher des faces de carême prenant : l’empiffre-annie (que les Pharisiens appellent fête des rois), la chante-leurre (en robe de crêpe) et le mardi gras. Et voilà justement qu’aujourd’hui, on est le 6 janvier, et que c’est l’empiffre-annie, malgré les curés qu’ils te mettent ça le dimanche qui suit, ça a toujours zété le 6 du mois. Bon j’vais faire une galette pour l’occaz. Attention, hein, j’ai dit une galette, pas un pithiviers, nuance. Dans la galette il est pas question de frange-en-panne (que sinon, les merlans faudrait les faire frire à la poêle), il y a du beurre dedans (et puis des fruits confits ou des pépites de chocolat, rapport à Gaspard -et pas de réflexion des os bi-jante siouplît).
Tandis que la galette dorait au four (celui de la cuisinière à bois), Raymonde parcourait les informations locales. Cette année, grande nouveauté, ce n’étaient pas des voitures qui avaient brûlé le soir de nouvel-an mais des antennes 5G. Rien qu’autour de Montrou, on en dénombrait pas moins de vingt-deux. Le Préfet dénonçait des « terroristes », rappelant que "l’article 421-1 du Code pénal qualifie de terroristes certaines infractions commises dans le but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur".
- tiens, ça m’ rappelle comme qui dirait quéquechose. Ou plutôt quéquezuns non ? Qui c’est qui nous fout le bouzin dans l’ pays depuis plus de trente ans (Vigipirate, mon amour) et encore plus depuis février 2020, en intimidant le populo (surtout non-pfizérisé), en lui faisant peur à propos de tout, de rien, du delta qui plane et de l’omacron, hein ?
- Salut Ma Poule.» Saint-Ex, par l’odeur alléché, venait d’entrer dans la cuisine.
- Salut Mon Chtit Poulet. Tiens puisque j’ te tiens, j’ voudrais dénoncer une affreuse bande de vilains terroristes (Raymonde énumère sur ses doigts boudinés, en commençant par le pouce de la main gauche) : le Président de la République Fromagière, tout le gouvernement, le conseil de défense, les députés et sénateurs, les candidats à la présidentielle, les patrons et employés des médias télé et radio officiels. Tu crois que tu peux enregistrer une seule plainte de groupe ou bien est-ce qu’il faut une plainte pour chacun de ces affreux individuellement ? Si tu t’y mets tout de suite, p’ t-être que t’auras fini d’ici le souper, mon Poupou...
- Raymonde, dis-moi, pourquoi vingt galettes ? Tu attends du monde ?
- que nenni non point ! C’est pour le tirage des rois. J’ai mis une grosse poignée de fèves dans chaque galette pour les lester, et tu vois les quilles où c' qu' y a collé les tronches à nos édiles ? eh ben s’agit d’en faire tomber le plus possib', chacun a droit à deux lancers. Je te f 'rais r' marquer que, les galettes, c’est quand même plus propre que la guillotine ou les tomates pourries et plus précis que la chantilly. N’en déplaise à feu Noël Gaudin, l’épastrouillant entarteur de pompeux emmerdeurs cornichons. Mais c’était pas lui qui f’sait l’ ménage après. »